Réalisées par Mohand SACI
Scénario et mise en scène de Dominique Houdart
Marionnettes d'Alain Roussel
Musique d'Antoine Hervé et Véronique Wilmart
Voix de Jeanne Heuclin
Manipulation par Delphine Bochart, Félicien Graugnard et Sébastien Lemercier
Avec
25 stagiaires, élèves du Nordic Black Theatre, comédiens, danseurs.
Ils sont venus de Somalie, du Sénégal, d'Iran, d'Irak, d'Erythrée, du Chili, du Congo,des Philippines, parfois à pied, repoussés, retenus dans des camps, expulsés, et ils sont arrivés en Norvège, terre d'accueil relative et qui, à l'image des autres pays riches, se ferme et limite l'immigration. Certains, jeunes et sans emplois, ont trouvé une structure d'intégration, tout à fait exemplaire, le Nordic Black Theatre, qui offre une formation théâtrale a ces jeunes déboussolés. C'est avec cette structure que nous montons "Toute la misère du Monde", notre spectacle consacré à l'immigration, joué par 5 professionnels de la Compagnie, et ces immigrés en formation théâtrale. Le premier contact est chaleureux, ils sont 25, certains ont déjà suivi le stage Padox l'an dernier, d'autres viennent d'arriver, les plus jeunes, deux Erythréens habitent un cap de rétention et sont en attente de papiers, ou... On aborde le personnage de Padox, ce personnage venu d'ailleurs, tellement proche d'eux. Certaines improvisations révèlent une très grande sensibilité. Demain on commence le travail de rue, et l'après midi, première approche du spectacle.
Avant de travailler les détails la semaine prochaine, aujourd'hui, avant la sortie prévue, nous devons faire deux filages, le premier sans costume pour la mémoire, et le deuxième en costumes. Opération réussie, il y a encore du travail, bien entendu, mais tout va bien. Deux danseurs de Hip hop qui font partie du spectacle vont intégrer un moment de danse dans le spectacle, au début. Et Alpha, jeune Sénégalais qui est arrivé seul en Norvège, accompagnera la première partie au Djembé.
Ce matin, j'ai visité le nouvel Opéra pour repérer les lieux où nous pourrons jouer, sur le toit de ce magnifique monument. Mais, avec la complicité du chargé de production des activités de l'Opéra, nous avons décidé également d'attirer le public dans un coin du chantier, et les Padox vont se transformer en ouvriers, façon de montrer l'envers du décor et de rendre hommage aux travailleurs. Demain, inauguration en présence du Roi, de la Reine, d'Angela Merkel (le bois de l'Auditorium vient d'Allemagne, une salle toute en chêne, à l'acoustique magnifique). Mais nous n'aurons pas le droit d'approcher, sécurité oblige. Alors nous jouerons aux alentours, et sur le pont du bateau. Un député d'extrême droite a proposé une loi pour écarter les Somaliens et les Pakistanais, "peuple à risque". Bon, nous ferons une allusion appuyée dans le spectacle, au moment de la scène d'arrestation et du renvoi en avion dans le pays d'origine.
Après la répétition, la sortie tant attendue dans le quartier cosmopolite, Groenland.Un bus nous y conduit, et nous tombons effectivement au milieu d'une foule bigarrée, rieuse, un disquaire pakistanais (eh oui, pakistanais), nous ouvre sa boutique, la communication est facile et joyeuse, les terrasses de cafés sont peines et accueillantes, un petit soleil met de la gaîté dans la ville. Un peu plus loin, nous tombons sur un coin hanté par des Roms, des drogués, des dealers, tous les décalés de la ville sont regroupés dans ce coin. Lorsque les Padox s'installent à côté d'une vieille gitane édentée, empruntent son gobelet et font la manche pour elle, les pièces du public arrivent et la gitane est ravie. Et au retour dans le bus, les Padox nous racontent leurs rencontres, leurs yeux brillent de plaisir et d'émotion. L'un d'eux a rencontré une femme qui après avoir dit plusieurs fois "God bless you" a fondu en larmes.
Curieuse inauguration de l'opéra d'Oslo: nous avions décidé d'y consacrer toute la journée des Padox, mais nous avons eu la surprise de découvrir que l'Opéra et ses alentours étaient bouclés, impossible d'intervenir a proximité. Heureusement, le bateau sur lequel nous travaillons se trouve amarré juste en face de l'Opéra, donc nous étions sur le pont au moment de l'inauguration officielle. Mais surtout, en prenant des chemins détournés, nous avons pu aller jusqu'à l'endroit ou les invités devaient passer, et nous nous sommes retrouvés face aux politiciens, aux télévisions, apportant humour et dérision à ce défilé lugubre de gens en costume d'apparat qui attendaient le Roi et la Reine. Au retour, impossible de rejoindre le bateau, une escouade de policiers nous barrait la route, et il a fallu intervenir fortement pour obtenir le droit de passage : il se trouve suite à une proposition de loi en faveur de l'avortement, une manifestation de droite a eu lieu, perturbée par une contre-manifestation,, et la police craignait de nouvelles agitations. La police norvégienne est comme toutes les polices du monde, sans distance et sans humour. La vue des Padox n'a déclenché ni sourire, ni envie d'en savoir plus long. "On ne passe pas!".
Après l'arrivée du Roi au loin, dans son énorme limousine noire sur fond de marbre blanc, avec une seule tache de couleur, le tapis rouge de circonstance, nos Padox ont improvisé un concert de percussions sur le bateau, puis ont rejoint le public sur le quai, et alors seulement une atmosphère de fête a régné, après cette inauguration pompeuse et froide. Certains de nos Padox commencent à nous dire leur plaisir de faire ce travail de proximité avec le public. Parmi eux, une jeune turque, Mine, m'a raconté que la sortie d'hier a été un choc pour elle : dans un café où nous nous sommes arrêtés, elle a rencontré une personne qu'elle connaît très bien, et cette personne lui a dit "Tu es moche, va au diable" avec violence et agressivité. Elle a découvert une personnalité qu'elle ignorait, et voir son propre monde à l'intérieur des Padox lui apprend beaucoup, l'étonne, lui ouvre les yeux.
Journée de repos, nous décidons, pour rester dans l'ambiance, d'aller revoir "Le cri" de Munch. Attention, amis touristes, le seul qu'on puisse voir n'est pas au Musée Munch, mais à la National Gallery. Curieusement, c'est là aussi que nous avons vu les plus beaux tableaux de Gustav Munch (prononcer Monk en Norvégien).
Le spectacle se consolide, un petit groupe a travaillé avec Jeanne pour lui donner des expressions typiquement norvégiennes pour faire parler les Padox, mais aussi les marionnettes qui représentent la police, faites de casquettes et de menottes en guise d'yeux et de bouches. La petite crise des retards et des absences semble réglée, mais je suis obligé a une certaine sévérité faute de quoi un laxisme s'installe, et finalement tout le monde est ravi de sentir une certaine rigueur. En fin de répétition, nous retournons à l'Opéra. Chaque fois, c'est l'occasion de traiter de nouvelles images graphiques avec les Padox, c'est un vrai plaisir d'imaginer tous les jours un traitement de ces corps sombres sur le blanc du toit de l'Opéra. Donc aujourd'hui, nous avons traité la pente comme une montagne à escalader, une cordée de Padox s'est hissée au sommet de l'édifice, transformant l'Opéra en un lieu d'escalade. Et puis, à l'intérieur, nous avons provoqué un beau désordre : le tapis rouge royal de l'inauguration était resté, roulé, dans un coin. Les Padox l'ont déroulé, et ont invité le public à déambuler fièrement dessus. Une jeune Kenyane, Judith, qui a quitté l'école et se retrouve en hôpital psychiatrique, a passé la journée avec nous. Elle a essayé un costume de Padox, suit les répétitions et les sorties. Une fois de plus nous vérifions que Padox, et la marionnette en général, peut jouer un rôle très positif pour les personnes, et particulièrement les adolescents, en grande difficulté psychique.
Aujourd'hui, deux chaînes de télévision viennent prendre des extraits du spectacle en répétition, et suivent la sortie à l'Opéra. Le filage se passe vraiment bien, nous serons très prêts pour la générale vendredi et les deux représentations de samedi. L'opéra est devenu l'attraction d'Oslo, des cars de touristes venus de l'intérieur du pays y arrivent tous les jours. Mais on peut se poser des questions sur ce beau bâtiment qui a coûté des fortunes (l'équivalent du budget d'un an d'un pays comme le Togo), et l'opportunité de le construire, alors que le vieil Opéra ne faisait pas le plein. Un Opéra de 2000 places pour 400.000 habitants, est-ce bien raisonnable ? Toujours est-il que pour les Padox, c'est un bon terrain de jeu et de communication.
Une bonne répétition, suivie du travail préparatoire à la sortie de dimanche qui sera une manifestation collective sur le toit de l'Opéra, mêlant musique, danse, poésie, et les Padox. Nous préparons un " concert muet ", et aussi une animation du chantier, de la partie encore occupée par les baraques de chantier, le matériel, bref les coulisses de la construction.
C'est la répétition générale, suivie d'une sortie en bus dans le quartier autour du Parktheater. C'est là que le Nordic Black Theater était installé il y a quelques années, avant d'acquérir le bateau. Générale très intéressante, car en présence d'une classe d'adolescents tous issus de l'immigration récente. Leur professeur, une anthropologue très impliquée dans son travail, nous a dit qu'elle ne les avait jamais vus tellement attentifs. Elle va leur demander d'exprimer leurs sentiments et nous les enverra. Il y avait aussi une classe de petits, cela nous a permis de tester que notre fable est naïve, claire et compréhensible également pour des enfants de 10 ans. Les sorties de l'après-midi dans deux parcs du centre ville ont donné lieu à de belles rencontres.
Les deux représentations étaient pleines, l'accueil a été très bon, rires, émotions. Jeanne a emporté tous les suffrages en donnant la voix norvégienne des Padox, les comédiens ont été rigoureux, attentifs, Cliff, le créateur du Nordic Black Theater, d'origine comorienne, nous a dit qu'il trouvait la fable très juste, que ce spectacle avait une portée universelle et devait être montré également aux enfants. Nous avons dédié ce spectacle à Aimé Césaire, qui est mort il y a deux jours. J'ai raconté comment j'ai participé à la création du " Roi Christophe ", lorsque j'étais assistant de Jean Marie Serreau, les représentations à l'Odeon, puis au festival des Arts Nègres de Dakar, en 1965. La pensée de Césaire nous accompagne. Outre la qualité de jeu, les jeunes immigrés qui jouaient Padox ont vécu un intense moment communautaire avec nous.
Dernier jour à Oslo. Après la création d'hier, il nous reste une journée de Padox dans le cadre de la fête organisée autour du bateau, la " Family Reggae Disco ", fête familiale. On attend un monde fou. Cliff a organisé un parcours sur le toit de l'Opéra voisin. Le temps est superbe, il y a un monde fou à l'Opéra et autour du bateau. Les Padox escalent le toit de l'Opéra, bronzent au bord du Fjord d'Oslo, et se transforment en ouvriers du chantier. Au retour, certains jouent les prolongations en se glissant dans la fête. On se quitte, sans doute pour se revoir l’an prochain, il est question de faire tourner le spectacle dans toute la Norvège, pour aider à une prise de conscience sur le problème de l'immigration auprès des populations provinciales très conservatrices. La petite Kenyane, Judith, entourée de quelques jeunes et des comédiens de la Compagnie, a fait une sortie en fin d'après-midi. On a vraiment le sentiment qu'elle a gagné en confiance, elle est sortie épanouie de l'expérience. En enlevant sa tête de Padox, elle a dit " Je suis folle ".
Dès le début de cette belle aventure humaine, nous avons été étonnés de constater que tous ces jeunes Somaliens, sénégalais, congolais, érythréens, chiliens, mexicains, iraniens, irakiens, ont joué cette histoire de l'immigration sans jamais, à aucun moment, ressentir le besoin de nous raconter leur histoire personnelle. Tout s'est passé comme si le spectacle servait d'exorcisme, et permettait de développer une capacité d'oubli, permettant de tirer un trait, pour aborder cette vie nouvelle en Norvège. Ils n'ont pas souhaité que nous utilisions leur langue d'origine, mais le norvégien, leur langue d'intégration, d'avenir. Bien sûr ils rencontrent et rencontreront le racisme, les préjugés, mais en jouant ils ont participé à une œuvre qui s'approprie l'histoire collective des immigrés, la raconte à la société occidentale aussi bien qu'aux immigrés eux-mêmes, et le théâtre devient alors témoignage, oeuvre pédagogique et action citoyenne.
Dominique Houdart
Avril 2008
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