LE COLPORTEUR GAZETTE DE LA COMPAGNIE

Septembre 2011

L'internement d'office psychiatrique est à l'ordre du jour. Antonin Artaud, rescapé des 40.000 internés d'office dans les asiles psychiatriques entre 1940 et 1945, morts de faim et de froid sous l'oeil complice de Vichy, nous a délivré une fable :

'Si la musique agit sur les serpents, ce n'est pas par les notions spirituelles qu'elle leur apporte, mais parce que les serpents sont longs, que leur corps touche à la terre par sa presque totalité, et les vibrations musicales qui se communiquent à la terre l'atteignent comme un massage très subtil et très long. Eh bien je propose d'en agir avec les spectateurs comme avec des serpents qu'on charme et les faire revenir par l'organisme jusqu'aux plus subtiles notions'.

Guidés par ces mots d'Antonin Artaud, et croyant encore à la force poétique et politique du théàtre d'art et de la marionnette, c'est par la peau que nous allons tenter de faire entrer la métaphysique dans les esprits, par une nouvelle forme de théàtre, une véritable"tentation'.

UN THÉÂTRE D'URGENCE

Nous venons de mettre en jeu et en espace des textes d'Artaud avec nos Padox. Cette création a obtenu un vif succès.

Nous souhaitons de tout notre coeur reprendre ce spectacle la saison prochaine. Avec les Padox, stagiaires formés par nous en quelques jours, nous pouvons non seulement proposer des déambulations dans la rue, mais aussi jouer ce spectacle qui est conçu pour une façade d'école, de prison ou d'hôpital, les spectateurs étant devant la façade. Une cour d'école vieillotte convient parfaitement, mais aussi une gare désaffectée, une façade d'hospice.

Nous pouvons également adapter ce spectacle pour une salle, en utilisant la technique du théàtre Noir et en modifiant le rapport scène-salle Une résidence dans un quartier fait aussi partie de nos modes de travail, ce que nous ferons avec un autre spectacle aux Accroche Coeurs à Angers, avec des détenus, et, ensuite, dans une Favela à Rio. Voilà le propos.

Le THÉÂTRE DE LA CRUAUTÉ,

nous y sommes, nous le vivons. Cette vision d'Antonin Artaud est notre actualité la plus brûlante, le monde est un théàtre de la cruauté. La peste, la nouvelle peste, celle qui provoque la peur des hommes, des états, des gouvernements, c'est la peur de l'autre, de l'étranger. Cette nouvelle peste c'est d'une façon plus générale la peur du pauvre. Nous vivons une régression à laquelle nous assistons, impuissants. Pour se protéger de cette peste, de cette peur, la société bàtit des murs, l'Europe ferme ses frontières, Israël enferme la Palestine, les USA se coupent du Mexique.

'Le mur est le nouveau cordon sanitaire, comme au moyen àge on fermait les villes pour se protéger de la peste" (Jean Delumeau).

Les murs, expression de la peur, sont des signes d'impuissance et de défiance. Le 4e mur au théàtre, abolissons-le.

Le verbe d'Antonin Artaud dénonce vigoureusement cette peste contemporaine, et ce verbe mis au théàtre est un théàtre d'urgence. C'est un théàtre sans frontières, abolissant le rapport scène salle traditionnel. Il nous suggère 'un"être inventé, fait de bois et d'étoffe, créé de toute pièce, ne répondant à rien, et cependant inquiétant par nature, capable de réintroduire sur la scène un petit souffle de cette grande peur métaphysique qui est à la base de tout le théàtre ancien. "(Antonin Artaud, Le théàtre et son double).

C'est, étrangement, la plus juste définition de nos Padox, ces personnages avec lesquels nous jouons à la fois dans la rue et dans les théàtres, qui représentent l'autre, l'étranger, celui qui vient d'ailleurs.

Cet être, nos Padox multiples, jouent dans un dispositif mettant le spectateur au coeur du spectacle, sans le mur de la scène et de la rampe, en proposant une contamination, un vaccin contre la peste moderne, un théàtre du littoral, sans frontières, à la tombée du jour.

ARTAUD PADOX

La création a eu lieu le 26 juillet à Trouville dans le cadre des Rencontres d'Eté, théàtre et lecture en Normandie sur la façade d'une école

Voici le premier article consacré au spectacle

Artaud fait le mur

D'abord la voix cassée d'Artaud, grinçante et éraillée. Ou, tout comme, celle de l'interprète du poète, avec le cri des mouettes en écho loin là-haut. Les mots éructent le dégoût du corps, la détresse de l'esprit, l'impossible séparation. Derrière l'austère façade d'une maison, d'une institution. Par les fenêtres: des aperçus de corps mais en miettes, vus par morceaux. Des ombres, des mains, des têtes... Lourdes, gourdes, rugueuses, inexpressives, empêchées. D'une banale monstruosité. Aussi indéchiffrables que dans la maison l'inconscient. Par le soupirail s'échappent les éclairs des électrochocs. Sur le seuil, Artaud raconte son internement à l'hôpital psychiatrique de Rodez, et ailleurs, huit ans de réclusion, jugé fou à lier. Enfin libéré mais toujours prisonnier de son corps, misère, diarrhées et douleurs, encore moins capable qu'avant de comprendre le dehors ou de se supporter en lui-même. Les paroles persistent et fusent, déraisonnés, plaintes et aphorismes, d'une terrible acuité.

Les personnages grotesques tentent de sortir de la grande maison. Des fenêtres, des draps tombent. Nous frémissons, assis, dans le froid de la nuit dans la cour, certains d'entre nous entourés de couvertures argentées, telles celles que les infirmiers distribuent aux rescapés.

C'était Padox-Artaud, mis en scène par Dominique Houdart, textes d'Antonin Artaud adaptés par Luc Laporte et lus par Jeanne Heuclin, marionnettes d'Alain Roussel vu à la maison des associations de Trouville sur mer dans le cadre des 10ème rencontres d'été théàtre & lectures en Normandie.

Guy Degeorges

Ce spectacle peut être joué dans l'espace public, sur une façade d'une prison, d'un hôpital, d'une école, d'un bàtiment administratif, Il existe aussi une version pour salle. Le projet de ce spectacle a pour origine une compilation, un montage de textes d'Antonin Artaud , textes de la dernière période de la vie d'Artaud, dite du retour à Paris,

La rencontre de ces textes d'Artaud et de la voix de Jeanne Heuclin nous a donné l'envie impérieuse de monter à notre tour ces textes, en privilégiant cette incarnation vocale, et en l'accompagnant d'images impressionnistes et marionnettiques, évoqués par les thèmes du texte, dans lequel Artaud parle de l'identité de l'être, de sa relation au corps, à la société, à la religion, au sexe, à la souffrance, en un mouvement ascensionnel, ponctué par la brutalité des rapports avec son médecin de l'hôpital psychiatrique de Rodez, et le verdict invariable et douloureux, :"électrochoc !', dénoncé violemment par Artaud.

Voix enfermée qui éructe et explose, corps enfermé qui se fragmente, se multiplie, toute la dramaturgie du spectacle a cette double fonction : faire entendre la force, la poésie, la violence du verbe par la voix de Jeanne Heuclin et donner à voir une interprétation marionnettique de ce rituel de vie, de souffrance, de visions et de mort. Deux sous titres pour ce spectacle.

Dans la version rue et façade:"Alors on verra fumer la jointure des pierres'. Dans la version salle:'Pourquoi s'arrêter à la petite odeur de truffe des mots sans descendre dans leurs charniers'

Padox et les "volontaires" : Tout notre travail avec les Padox consiste à mêler des professionnels et des amateurs volontaires, formés au cours d'un stage. Les habitants de la ville qui nous accueille participent ainsi à la re-création du spectacle, comme ce fut le cas dans "Padox Migrateur".

Mais pour ce projet "Padox-Artaud" nous souhaitons faire appel à des volontaires plus particulièrement sensibles au thème de l'enfermement, de la souffrance, du handicap, de la folie, de la prison, de la maladie. Ils peuvent être des prisonniers, des handicapés mentaux, des malades, d'anciens malades, des immigrés, ou tout simplement des personnes intéressées par l'aventure .

Disponible toute la saison 2011/2012

NOS SPECTACLES DE LA RENTRÉE

Dans l'immédiat, nous serons avec les Padox au Festival des Accroche Coeurs à Angers, qui se déroule les 9, 10 et 11 septembre, au cours duquel nous travaillerons avec des stagiaires habitants de la ville, et aussi des détenus de la prison d'Angers. Nous y ferons des déambulations et nous jouerons"Les 4 saisons des Padox'. Immédiatement après, nous partons dès le 12 septembre à Rio de Janeiro au Brésil, à l'invitation du festival Tempo das Artes, et dans ce cadre nous formerons 20 habitants de la Favela de Alemao qui joueront les Padox en déambulation dans le quartier, en centre ville, et un spectacle sur le thème du miroir.

LES PADOX REVIENNENT DE RIO

A l'invitation du tempo Festival das Artes, de Rio de Janeiro, et avec le soutien de l'Institut Français, nos Padox ont passé une semaine dans une Favela (Alemao) à Rio.

En guise de témoignage, voici le lien d'une video, et quelques photos.

En attendant de nouvelles rencontres, pour nos Padox, pour Artaud Padox, notre éternelle 'Zazie dans le métro', et nos deux spectacles en préparation 'Le devin du Village' pour le 300e anniversaire de la naissance de JJ Rousseau Et 'Le petit théâtre d'objet des philosophes'

Amicalement
Dominique Houdart